En sourire
 
 

0. Quelques photos...

1. Le concertiniste et le diable
2. Le concertina dans la Bible
3. Le nombre d'or dans le concertina
4. La psychopathologie de l'anglo-concertiniste
5. Quelle est la différence entre un concertina et...
6. Comment je devins champion
 
 
 

Avertissement : les textes qui suivent ne sont que des fictions !
 
 

*
*    *


















1. Le concertiniste et le diable (conte)

Il était une fois un concertiniste très gentil et qui jouait très bien. Il vécut une vie merveilleuse de concerts superbes, chaque jour entouré un peu plus d'une foule d'admirateurs. Ce concertiniste aurait mérité cent fois le Paradis au Ciel après l'avoir connu sur Terre s'il n'avait commis une imprudence, une seule imprudence, mais de taille. Comme beaucoup de ses confrères les accordéonistes il avait promis son âme au Diable en échange de la maîtrise totale de son art. La "boîte du diable" ou "Boest An Diaoul" vous connaissez ? Tous les accordéonistes, c'est bien connu, font un pacte avec le Diable afin de sortir quelque chose d'intéressant de leur maudite boîte (c'est du moins ce que racontent les violonistes qui jalousent les accordéoneux). Bref, notre ami qui joue du concertina vient à trépasser, sa belle et longue vie bien remplie. L'heure des comptes sonne et  le Diable accompagné de l'ange gardien se retrouvent à son chevet. L'ange est bien ennuyé. Comment échapper à la sentence ? Certes, son client a  fricoté avec le Diable,  mais ce fut sa seule faute. Toute une vie consacrée à la charité envers ses semblables, une vie honnête, ne se jette pas dans la fournaise de l'Enfer !

L'ange gardien se renseigne auprès de Saint-Pierre et lui demande conseil. Pierre n'est pas une andouille, ce n'est pas pour rien qu'il a été nommé LE premier des papes il y a deux mille ans. Et il trouve une idée. Il la souffle à l'ange gardien qui la transmet à son client.

Le Diable s'approche du défunt et lui réclame son dû. L'instrumentiste lui répond :

"Ben, je ne sais pas de quoi vous voulez parler"

"Comment ça - répond le diable - , nieras-tu avoir signé de ton sang le pacte que voilà !"

Il montre un parchemin et lit : "je promets de donner mon âme au Diable si celui-ci me fait jouer à merveille de l'accordéon."

"J'ai bien signé ce document mais vous ne m'avez jamais appris à jouer de l'accordéon !"

Le diable s'étonne, de toute sa vie il n'a jamais rencontré pareil cas de figure, quelle outrecuidance ! Il se tourne vers l'ange gardien qui, lui, ne peut mentir.

"Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?"

"Ben oui, répond l'ange, il n'a jamais joué de l'accordéon mais du concertina, ce n'est pas la même chose, le contrat n'est pas satisfait, j'emmène mon client avec moi".

La moutarde commence à monter au nez du Diable.

"Quoi, un concertina, c'est un accordéon sans blague, qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

"Non, répond le musicien, ce n'est pas la même chose, renseigne-toi, apporte-nous un dictionnaire et consultons ensemble la définition du mot accordéon."

Le Diable ricane, sûr de son droit. Il se tourne vers un diablotin et lui demande "Toi là, crème d'idiot, va me chercher un dictionnaire et fissa !" Il se tourne vers le défunt : "Je te préviens, si tu penses gagner du temps avec cette manoeuvre dilatoire, je m'occuperai de ton cas personnellement au plus profond de mes cuisines".

Le diablotin revient avec un dictionnaire. Le Diable trouve le mot accordéon et lit :

"Accordéon : instrument de musique à soufflet et à anches. L'accordéoniste joue de son instrument soutenu par des bretelles fixées à son torse. Il utilise le clavier de droite pour la mélodie et celui de gauche pour les basses ou accords."

"Bon, et maintenant, tu ne nieras plus que tu joues de l'accordéon !"  ricane le Diable.

L'ange gardien s'approche à son tour et prend le dictionnaire, puis commente :

"Instrument à soufflet et à lame vibrante, l'orgue aussi utilise un soufflet et l'harmonica des anches. Et pourtant, ce ne sont pas des accordéons. Ce n'est pas suffisant comme définition : tous les critères doivent être respectés pour que le pacte soit valable. Voyons encore plus loin".

"Où vois-tu des bretelles pour soutenir l'instrument. Le concertina de mon ami n'en a pas. Et pour ta gouverne, je t'apprends que le concertina ne distingue pas les basses de la mélodie, les notes sont réparties entre chaque clavier sans suivre une telle distinction". L'ange ferme le livre et conclut. "Pour moi, la définition n'est pas respectée, le contrat n'est pas rempli, je garde mon client." Et disant cela, il prend avec lui notre concertiniste.

Le Diable eut beau fulminer, en appeler à Dieu et à tous ses Saints (un comble), il resta seul, le dictionnaire sous son bras. Un accord est un accord, et au Paradis plus qu'ailleurs, depuis les Dix Commandements gravés dans la pierre de Moïse jusqu'au catéchisme, on ne badine pas avec la LOI.

Voici, braves gens, une belle histoire sur le Diable et le concertina. Maintenant, prenez bonne note : vous n'aurez aucune excuse lorsque vous me rencontrerez avec mon concertina, surtout ne me dites pas "bonjour l'accordéoniste !" Je pourrais me vexer...


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Dernière mise à jour : Mars 2002

2. Le concertina dans la Bible (théorie)

Je vais vous révéler un secret bien gardé : le concertina a été créé par Moïse pour obéir à un commandement de Dieu. Le concertina, donné par Dieu le père, est un instrument divin. Wheatstone son soi-disant inventeur, comme tout bon anglais du XIXème siècle imprégné de culture biblique, a trouvé la source de son inspiration dans les Ecritures Saintes. En effet, que nous dit la Bible ?

Exode, Chapitre 25, Versets 40, Dieu parle à Moïse :  "Regarde et exécute selon le modèle qui t'est montré sur la montagne".

De quel modèle s'agit-il ? D'un mystérieux candélabre (ou chandelier ou, étymologie troublante, candela, concertina), instrument pour le moins incongru dans un désert, mais dont la description n'est pas sans évoquer, en fait et d'une manière fort troublante, un instrument à 6 côtés et 21 boutons. Cela ne vous dit rien ? Pour ma part, j'en ai la conviction, le mystérieux instrument commandé à Moïse était en fait un concertina à deux rangées (soit 20 boutons de note + le bouton respiratoire). Vous en doutez ? Lisons et analysons ensemble le texte tiré de l'Exode au chapitre 25, versets 31 à 40.

La principale caractéristique de l'instrument sacré nous est donnée au début du texte : "Six branches s'en détachent sur les côtés" (verset 32). Je rappelle ici que la principale caractéristique du concertina repose sur sa forme hexagonale, à savoir ses six côtés (Concertina "sorte d'accordéon de forme hexagonale", Larousse Encyclopédique).

De quoi se compose les autres parties de l'instrument ? De 7 séries de "3 calices en forme de fleur d'amandier, avec bouton et fleur" soit 7 x 3 = 21 ensembles = 21 anches/boutons.
Il est évident qu'il nous faut traduire le texte imagé de l'époque biblique. Il ne s'agit manifestement pas de fleur d'amandier mais de quelque chose qui ressemble à une fleur d'amandier. Or, la forme des pétales d'une fleur d'amandier n'est pas sans évoquer les lamelles d'une anche de concertina. A une époque où la photographie restait à inventer, il est assuré qu'une évocation d'une fleur, bien connue de Moïse, ne pouvait que mieux lui faire comprendre la forme devant être donnée à cette partie du concertina.


 

Quant au bouton, il se passe bien évidemment de commentaire : la Bible ici n'évoque plus d'une manière poétique cette partie fondamentale du concertina, le bouton. Elle la nomme en toutes lettres, recevons la comme telle.

On trouvera plus loin une description très fine des ornementations souvent reprises sur de vieux concertinas. Lire par exemple : "Ses mouchettes seront d'or pur" (verset 38).

Ci-dessus un exemple de mouchettes d'or. Tout un ouvrage pourrait être consacré à cet aspect ornemental qui renforce la description de l'instrument dans la Bible.

Après la partie des claviers, évoquons une autre partie très importante : le soufflet.

Que nous dit la Bible, juste après la description du chapitre 25, dans son chapitre 26, versets 1 à 35 ? Le titre du chapitre 26 porte sur "Les étoffes et les couvertures". Ne s'agit-il pas là d'une évocation particulièrement troublante du soufflet du concertina ?

Si les exégètes de la Bible de Jérusalem nous disent en commentant ce chapitre de l'Exode : "La description minutieuse qui suit contient de nombreux termes techniques et ne nous est pas toujours intelligible", je crois pouvoir affirmer pour ma part, éclairé par ma lecture du chapitre précédent, que les étoffes et couvertures n'évoquent pas "un sanctuaire démontable adapté à une vie nomade" (commentaires de la Bible), mais bien un soufflet de concertina.
Relisons avec attention ce chapitre pour y découvrir un véritable traité de lutherie.

Quelques passages nous éclairent "Cinq des bandes seront assemblées l'une à l'autre, et les cinq autres bandes seront assemblées l'une à l'autre" (verset 3) ; "tu assembleras cinq bandes d'une part et six bandes d'autre part, et tu rabattras la sixième sur le devant" (verset 9) ; "tu feras des bandes d'étoffe en poil de chèvre (traduction : cuir animal) (verset 7) ; Enfin "tu placeras (...) le candélabre (la partie clavier du concertina) en face de la table (d'harmonie ?) à l'extérieur du rideau (le soufflet)" (verset 35).
Il est bien clair que l'instruction divine précise de placer le soufflet à l'extérieur de la partie clavier, preuve supplémentaire de la relation "ordonnée" qui existe entre la partie soufflet et la partie clavier. Ici le hasard n'a pas sa place, bien au contraire la description globale nous révèle un instrument qui nous est  familier : le concertina.

Voici, vous en conviendrez, une description fidèle de notre instrument de musique rapportée dans la Bible. Soufflet, boutons, anches, clavier, tout s'y retrouve.
A tous ceux qui douteraient encore, je citerai pour conclure un dernier extrait de la Bible, Daniel chapitre 3, verset 7 :
"Sur quoi, dès que tous les peuples eurent entendu sonner trompe, pipeau, cithare, sambuque, psaltérion, cornemuse et toute espèce de musique, se prosternèrent tous les peuples."

Si la Sainte Bible n'exclut aucune musique, aucun instrument de musique, pourquoi exclure le concertina de la Bible ?


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Dernière mise à jour : Janvier 2002

3. Le nombre d'or dans le concertina (théorie)

L'étude des meilleurs concertinas m'a révélé l'application du "nombre d'or" dans les proportions de ces instruments. Le succès d'un "bon concertina" réside dans la mise en oeuvre, inconsciente ou consciente mais systématique, de ce principe déjà connu de nos Anciens.

Un objet est "doré" (ou en or) lorsqu'il fait usage dans ses proportions du nombre d'or. Par exemple, le Parthénon à Athènes s'inscrit dans un rectangle doré, car le rapport de la longueur du temple à sa hauteur est égal au nombre d'or.

Ce nombre est de 1,618 033 989 et est désigné par la lettre grecque  (phi) en hommage au sculpteur grec Phidias .

Démonstration :

Soit la hauteur du concertina AB, la largeur d'un de ses cadres AC, sa largeur au repos soufflet poussé BD et sa largeur  soufflet étiré BE.


On note que le rapport de la hauteur du concertina à la largeur de son cadre est égal au rapport de la largeur du concertina ouvert à sa position de repos. Soit :

AB/AC = BE/BD =

Pendant que AC + AB = BE

Pour le moins étrange, mais le concertina, tout le monde en convient aujourd'hui, étant une oeuvre d'art, nul ne s'étonnera d'y retrouver les principes reconnus de l'esthétique, du bon goût et de l'efficacité.
 
 


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Dernière mise à jour : Janvier 2002


 

4. La "trajectomania", une étude sur la psychopathologie de l'anglo-concertiniste(1)
 

Les pathologies du concertiniste sont connues :

- névrose de la fuite d'air avec douleurs dorsales générées par sa prostration vers le soufflet ;
- syndrome du misérabilisme du joueur d'un petit instrument trop discret car peu sonore en session ;
- compulsion frénétique à l'audition de certaines questions de l'environnement, telles "Ah, vous jouez de l'accordéon ?" ;
- traumatisme du musicien de sexe masculin et machiste jouant un "instrument de gonzesse".

A cette liste, s'ajoute une pathologie spécifique à l'anglo-iste : l'obsession de la recherche de la meilleure succession de poussés/tirés. Cette attitude se traduit par l'emprise d'une question prégnante pendant le jeu, particulièrement à l'acquisition d'un nouvel air, question qui tourne autour du choix d'une trajectoire idéale dans l'espace pour les doigts du musiciens sur les boutons ou "trajectomania".

Outre les conséquences sur le psychisme de l'individu, on soulignera le coût social induit par une attitude contre-productive. L'anglo-concertiniste, en proie à cette recherche du Saint Graal, produit peu.

"Nous devions présenter, à l'issue du stage, le fruit de notre travail de la semaine. Alors que les élèves d'english, assis derrière leur partition le soir du concert de clôture, ont enchaîné les "tunes" nouvellement acquis, les élèves d'anglos n'ont présenté qu'un seul air. En fait, nous avons passé notre temps à nous interroger sur la meilleure combinaison de touches à enfoncer en tirant ou en poussant pour bien produire chaque phrase de notre danse et n'avons pas eu le temps d'étudier une autre danse." (X. élève stagiaire d'anglo concertina)

Quel diagnostic et quel remède pour enrayer ce fléau ?

Diagnostic :

Le praticien recherchera un afflux de questions obsessionnelles chez le patient. Evoquons quelques cas relevés en cours d'entretiens :

Sur quelle rangée produire mon "La grave" ?
Dois-je ne pas interrompre la fluidité de mon geste en produisant trois notes d'un même mouvement (en tirant), alors que, naturellement, mes doigts disciplinés à la culture anglo effectuent 1 tiré, 1 poussé et 1 tiré ?
Est-il plus judicieux de décomposer cette phrase en des tirés puis des poussés ou des poussés puis des tirés ?

Analyse :

Le désordre psychique est assuré si le malade ne parvient pas à résoudre son conflit interne.

S'il prône la spécificité de son instrument à double effet, qui est censé mieux s'adapter au rythme de la musique irlandaise, il souhaite parfois privilégier un doigté plus fluide et plagie l'english qu'il renie.

Cette pathologie traduit une jalousie refoulée du système english chromatique.

Thérapie :

Un soutien  moral et affectif est nécessaire, rassurez le patient en flattant son ego d’artiste.
Sans relever les exceptions à la forme des concertinas, insister sur la beauté formelle de l’hexagone anglo en l’opposant à l'octogone english qui ne sait choisir entre carré et cercle.
Souligner la force des boutons, larges et bien implantés, au regard des rachitiques boutons englishiens.
Evoquer la douce courbure des rangées de boutons anglo face à l’alignement psychorigides de son concurrent.

Une bonne prévention est de lui éviter le traumatisme de la lecture de révisionnistes qui soulignent que le succès de l'anglo en Irlande est lié à un concours de circonstances : son faible prix. Insister sur le fait que l'économie est une vertu. Faire état du passé douloureux du pauvre irlandais. Dans les cas les plus graves, évoquer le paupérisme engendré par l'occupation impérialiste britannique. Un rappel de l'histoire de l'Irlande sera toujours bénéfique.

Mettre au pilon tous les ouvrages qui considèrent que l'english est REELLEMENT mieux adapté à la musique irlandaise du fait de sa richesse potentielle d’ornementations. Evoquer les thèses les plus récentes qui nient l’ornementation des notes comme une caractéristique fondamentale de la Tradition Irlandaise. Lui faire écouter des enregistrements d'anciens musiciens au jeu dépouillé.

Surtout évoquer le principe d'autorité. Citer tous les grands concertinistes qui ne jouent que de l'anglo (Noël Hill, Mary McNamara etc...).

Le syndrome de la "trajectomania" doit s'estomper peu à peu.

Consolé, rassuré, le malade pourra profiter de sa progression instrumentale. Libéré de son conflit interne, au fil des années, le concertiniste anglo acquiert la maîtrise globale de son instrument et ne se pose plus de questions existentielles. Son geste s'automatise, "la trajectoire idéale" ne se RECHERCHE plus, mais se dévoile sans y songer.

L'anglo-iste est guérit.
 


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Dernière mise à jour : Mars 2002

5. Quelle est la différence entre un concertina et...

On trouve sur le Net anglo-phone quelques histoires (plus ou moins) drôles sur le concertina. Je vous donne la version originale en langue anglaise puis ma traduction. Je vous laisse juge.

***

Q: What's the difference between an accordion and a concertina?

A: The accordion takes longer to burn.

Question : Quelle est la différence entre un accordéon et un concertina ?

Réponse : Le concertina brûle plus vite.

***










Q. What is the difference between a concertina and an onion?

 A. The concertina is pre-scored for easy slicing.

Question : Quelle est la différence entre un oignon et un concertina ? (2)

Réponse : Les pelures du concertina sont pré-découpées.

***

Notes :

(1) Harry Scurfield, un virtuose de l'anglo concertina, m'a écrit (en français) : "quand j'ai donné des classes d'anglo à des stages en Angleterre de concertina avec des English, Duet, et tout mélangés, je crois en venir à la conclusion que, comme la langue qu'on apprend tout jeune, sa langue maternelle, peut influencer la façon de penser, de voir le monde, du parleur, le système de concertina a aussi un effet. Donc les joueurs d'Anglo sont autres que les joueurs d'English, qui sont, eux, différents des joueurs de duet. Réfléchis bien... tu trouves que c'est vrai ?"

(2) Il existe une variante dédiée à l'accordéon : "Quelle est la différence entre un oignon et un accordéon ?" Réponse : "Personne ne pleure lorsqu'on découpe un accordéon."


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Dernière mise à jour : Mars 2002

6. Comment je devins champion (récit)
 

"L'histoire que je vais vous conter, garçons, est une histoire pas très honnête.
J'ai commis, jadis, une petite irrégularité dans un concours de concertinistes et ce stratagème m'a permis de remporter la première place. Il faut vous dire que l'enjeu, pour moi alors, était considérable : gagner le coeur de la belle Eileen Foley.
Elle m'avait dit : "je n'épouserai que le premier..." Je suis devenu le premier, je l'ai mariée, la garce... Aujourd'hui, je le regrette bien. Comme quoi, tout se paye un jour et que cette histoire finalement est une histoire morale digne d'être entendue par toutes
les oreilles."

Le Tullamore Dew commence à produire ses effets.

J'écoute, avec l'intérêt que vous me connaissez pour les belles histoires dublinoises, les confidences alcoolisées de Denis Coughlan le champion. "Terry Killalea, le patron du pub de Montjoy Street, avait organisé, il y a cinq ans, un concours entre concertinistes. Le premier prix était original : au gagnant, consommation gratuite pour l'année. Vous parlez d'une trouvaille !
Mais le véritable prix, pour nous autres musiciens prétentieux, résidait dans le titre : "Champion du pub de Killalea". Le "Killalea", un sacré singing pub ! Très couru par les puristes du concertina irlandais."

Denis lève la tête et avale sa liqueur. Insidieux, je remplis son verre du liquide ambré, salaire des confidences.

"J'avais de bonnes chances pour décrocher la "timbale". Mais il y avait quand même un sérieux concurrent. Mon rival en amour : le beau Brendan Ryan. Entre Brendan et moi un enjeu de plus nous opposait, sans doute le plus important de tous : le coeur d'Eileen... Nous étions les deux favoris et, en toute logique, après l'élimination des autres inscrits, nous nous retrouvâmes face à face.

La lutte s'annonçait difficile, du point de vue technique, au niveau du style, question sensibilité, nous nous valions tous les deux.
Le jury, composé de Terry Killalea, ancien "All Ireland Champion", et d'autres vieux routiers respectables et respectés, par nous autres jeunes loups, le savait parfaitement.

Le grand Joe Cooley, de passage au pub, lui conseilla la solution suivante : puisque notre jeu ne pouvait nous départager, notre connaissance musicale serait mise à l'épreuve. À tour de rôle nous interpréterions un «reel» de notre choix. Standard ou improvisé, tout reel joué par l'un ne pouvant être repris par l'autre, le premier qui "resterait sec" aurait perdu. Tout le monde accepta et aussitôt notre drôle de "messe" commença."

Denis Coughlan tend son verre vide que je remplis derechef.

"Le tirage au sort me fait commencer. Tout gaillard, je choisi un classique particulièrement joyeux : "The Morning Dew". On applaudit le travail. On peut : il s'agit là d'un de mes reels favoris. Brendan Ryan, fieffé hypocrite, propose "Joe Cooley's Fancy". Pour ne pas être en reste, je rattrape avec "The Wise Maid", un reel qu'affectionne particulièrement le vieux Cooley. Tout son répertoire connu y passe. Et on poursuit avec d'autres "tubes", on emprunte au répertoire des violoneux, des flûtistes.

Les danses défilent. Le jury note les titres pour s'y retrouver. Après deux heures, le choix commence à se faire difficile. Surtout que les juges nous pressent et nous limitent à un seul passage par danse. C'est mon tour de jouer et je n'ai trouvé de reel qu'à la dernière seconde.

Brendan lui aussi se fatigue. Il a voulu sortir "My Love She Is In America" et s'est fait rappeler à l'ordre par Terry Killalea. Cette danse, je l'avais déjà produite il y a une heure. In extremis mon rival est retombé sur ses pieds avec "The Ships Are Sailing", un classique que je m'étais réservé. Ma mémoire s’emballe pour retrouver un air de secours. Rien. Tant pis, je me lance et j'improvise sur une "jig" que je retravaille dans la peau d'un reel.

"Titre ?" me demande Terry. "Improvisation", que je lui réponds. Le président se tourne vers ses assesseurs et leur demande de faire attention : il compte sur leur mémoire pour éviter les redites. Un idiot de touriste leur propose son magnéto à cassettes comme preuve en cas de litige. On accepte."

La bouteille de Tullamore accomplit sa révérence coutumière.

"Ça devenait sacrément dur. L'improvisation, pour nous autres habitués à jouer du traditionnel, ce n'est pas notre tasse de thé. Si seulement j'avais pu retourner chez moi pour réentendre de vieux enregistrements. Mais pas mèche. Les vieux renards du jury le savaient bien. Les choses auraient traîné trop longtemps si l'un d'entre nous deux choisissait de réciter par coeur le "O'Neill". Le dénouement était proche pour Brendan ou moi, lorsqu'un type du jury proposa une pause, histoire de pisser et de manger une croûte. Ouf ! Depuis le matin que l'épreuve durait, on en avait plein les oreilles pour les uns, plein les poignets noués pour les deux autres, plein les jambes picotantes pour tous.

On pose les instruments. On se lève. Bien sûr, interdiction de quitter l'enceinte du pub ou d'avoir une conversation discrète avec un copain-souffleur. Je profite de la pause pour chercher frénétiquement un reel. Les minutes passent. Rien. Je crois avoir trouvé. J'abandonne. Déjà joué. Je transpire. Je m'embrouille. Une idée quand même, lancinante, qui me passe et repasse dans la tête.

Si seulement je pouvais trafiquer son maudit concertina. Pas grand-chose. Un ressort de cisaillé derrière une touche et "toc !" une note qui disparaît. Un incident qui n'arrive qu'une fois dans la vie d'un bon concertina. Mais qui arrive, et alors, tant pis pour le malheureux. C'est la faute à "pas de chance", non la mienne... Bien sûr, avec tout ce monde, il me semble impossible de réaliser un tel sabotage... Pourtant, soudain, une idée aussi ingénieuse que malveillante, glisse de mon esprit rudement sollicité... Oui... l'idée peut prendre."

Denis essuie ses lèvres grasses d'alcool d'un revers de manche sale et se remplit un autre godet.

"Je me tourne discrètement vers Myra Brien, la serveuse de Kyllalea, une fille stupide, moche comme un pou, mais secrètement amoureuse de moi et qui, en conséquence, ne sait rien me refuser. Je fais semblant de lui dicter ma commande. C'est pas cette fille qui attire l'attention : elle est ici pour ça. Quant à ses connaissances musicales, tout le monde sait pertinemment qu'elles se résument à l'Ave Maria du Père Conway ! Bref, vous pensez que je lui ai commandé le sabotage du "Wheatstone" de Brendan ? Non. Non. Pas du tout. Beaucoup plus subtil. Beaucoup plus fin, Monsieur...

Non, je lui ai demandé de faire connaître à mon adversaire la proposition suivante : je m'avoue vaincu, mais je souhaite une fin honorable et ne veux quitter la scène que par un accident technique indépendant de ma volonté. Je lui propose de rompre discrètement un ressort de mon "Crabb". En cours de jeu, je découvrirai l'incident et passerai la main. Je crois savoir qu'il possède dans son sac une petite pince qui conviendrait parfaitement au stratagème, qu'il agisse pour le mieux, pendant que je détourne l'attention du public par une farce quelconque.

Je prends mon concertina, le pose au pied du comptoir et regarde mon adversaire. Un signe de tête et je prends note de son acceptation. Il se dirige vers l'instrument que j’ai préparé en dévissant à demi ses flancs.

Je renverse mon verre sur le petit Mac Dermott, bien connu pour son caractère acariâtre, ce qui fait hurler le bonhomme et attire le monde, alors que Myra, rougissante, masque de son corps le sabotage discret de Brendan. L'imbécile naïf, pourquoi n'a-t-il pas exigé que je le fasse moi-même ? Quoiqu'il en soit, le plan aurait fonctionné malgré tout, avec un mensonge supplémentaire de Myra... J'avais tout prévu ce jour là !... Vous allez voir."

La main de Denis tremble furieusement pendant que je remplis son verre.

"Je récupère mon bien. Mes doigts nerveusement pianotent à la recherche de la touche morte. O.K. Travail accompli. Bravo Myra, bravo Brendan. On me remarque. On pense que je souhaite poursuivre. On rameute les buveurs.

À ce moment, ma main retrouve, miraculeusement, un reel qui, autre miracle, n'utilise pas la note absente. Mon esprit machiavélique fignole le dénouement...

C'est à moi. Coeur battant, je commence, n'importe quoi.

Stop. J'arrête. Je regarde mon concertina. Je prends le jury à témoin : il me manque une note. Voyez, un ressort a dû se rompre. La salle murmure et se désole. Killalea compatit, se tourne vers ses voisins, puis vers moi :

"Désolé, Denis, mais c'est le jeu. À ton tour de jouer. Si tu ne joues pas, tu perds le titre. Tu abandonnes, bien sûr ?"

Je réponds fièrement : "Le sort s'acharne contre moi, mais je ne m'avoue pas vaincu. Un Denis Coughlan est suffisamment bon concertiniste pour bien jouer sur un instrument défectueux. Écoutez donc !"

Mon conteur tousse en buvant trop vite son dernier verre.

"Et je joue mon reel. La salle résonne d'applaudissements. C'est du délire ! Tout le monde m'acclame et me réclame le titre. En Irlande, on aime les exploits et les attitudes fières. Et je viens de prouver, sur ces points, que je suis un digne fils de la Verte Irlande.

"Bien Denis, constate le juge, mais Brendan a peut-être encore un reel à jouer?"
Le public murmure. On lui gâte son spectacle. On renie son champion. Brendan, lui, ne comprend pas très bien. Il est un peu dépassé par les événements. Il croyait l'affaire conclue et n'a pas fait l'effort de retrouver un air... Je table sur ce pari... Hélas, ne voilà-t-il pas que le visage de ce crétin s'éclaire d'une idée.

Il commence : "The Rambler of Cork", un vieux standard qui, jusqu'alors, avait échappé par miracle à nos investigations.

Quel imbécile !... Tant pis pour lui, je vais lui servir mon estocade finale. Il aurait pu perdre dans l'honneur, il conclura dans la honte. Je regarde Myra Brien et la serveuse s'approche alors de son patron pour lui parler à l'oreille.

Terry Killalea se lève et interrompt le musicien. "Arrête Brendan. Myra t'accuse d'avoir arraché un ressort du concertina de Denis. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?"

"C'est faux !" proclame Brendan Ryan en rougissant.

Je regarde dans mon instrument et dit : "C'est bizarre, je ne retrouve pas mon ressort cassé".

Myra se penche sous la table de mon rival puis se redresse, un petit bout de métal à la main. "Je l'ai retrouvé. Il était sous la table de Monsieur Ryan !"

Dans le pub surchauffé, on ne s'entend plus. Je joue l'indignation. Tout le monde se tourne vers le prétendu coupable. Des excités parlent de lynchage. Brendan ne trouve son salut que dans une fuite honteuse.

Et je suis proclamé "Champion du pub de Killalea".

"Slantche ! conclut mon conteur d'une ultime rasade. voilà toute l'histoire".

"Une belle fin pour une histoire pas très morale", commentai-je.

"Ouais, me répond Denis, tout était pour le mieux, pour moi, hein ? Comme dans les contes d'enfants. J'épouse la princesse de mes rêves, mon rival s'installe ailleurs, je gagne l'estime de tous et mets la main sur un excellent prix. Seulement, ce que les belles histoires ne disent pas, c'est ce qui se passe après la fermeture du livre. Le héros se retrouve seul avec sa belle qui commence à l'emmerder. Qui l'accuse de faire son malheur. Qui l'accuse de n'être qu'un ivrogne..."

Cruel et faux-cul, j'interviens.

"Peut-être n'a-t-elle pas tout à fait tort sur ce dernier point ?"

Denis Coughlan poursuit sans relever ma remarque : "Il faut vous dire, Monsieur, qu'avant le concours, je ne buvais pratiquement pas. Le prix m'a un peu forcé la main. Un foutu prix pour le vainqueur, boire son content toute l'année sans débourser un penny !... Allez, camarade, conclut-il, la bouteille est vide, fais un effort..."

"Je ne pense pas que votre Eileen serait très contente si elle me voyait entretenir cette conversation avec une autre bouteille, Denis."

"Ma belle Eileen, Monsieur, s'en moque comme de sa première robe et pour cause, puisqu'elle vient d'abandonner son mari devant Dieu : Denis Coughlan le Champion, l'ivrogne... Et vous savez avec qui elle s'est enfuie, la garce ?"

"Avec quelqu'un qui boit moins, je pense", suggérai-je.

"Pour sûr ! Avec Brendan Ryan. La voilà, la morale de cette histoire."
 
 


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Dernière mise à jour : Août 2002