Stendhal, Souvenirs d'Egotisme. |
1. Réflexions sur une psychothérapie instrumentale !...
Après m'être consacré pendant dix années exclusivement à la cornemuse irlandaise (uilleann-pipe), des douleurs dans mon épaule droite, celle qui actionne le soufflet de l'instrument, se manifestèrent. Mon médecin généraliste diagnostiqua une tendinite et prescrivit le traitement habituel (anti-inflammatoire puis infiltration) sans résultat notable. Une IRM révéla un frottement musculaire curable par une opération (arthroplastie selon la technique de Neer). J'ai subi cette opération en 1999 et suivi une rééducation guidée par un kiné. Mes douleurs ont disparu aujourd'hui au repos mais réapparaissent après 10 minutes de jeu au uilleann-pipe. Prenant acte de ce bilan, j'ai vendu mon instrument sans vouloir abandonner toute activité musicale.
Comment fait-on le deuil d'un instrument de musique
? Comment choisit-on un autre élu et pourquoi le concertina ?
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Une époque révolue. Ici jouant sur scène avec Robbie Hannan. |
A l'origine, il y eut un mariage de raison... Je venais de me séparer de mon uilleann-pipe. Peut-on imaginer une telle souffrance ? Celui qui a vécu intimement avec son amour pendant dix ans me comprendra. Avoir les pensées occupées par une passion dominante, un planning dédié à une activité, la tête pleine des références des maîtres de son prurit, les oreilles emplies des glissandos pipesques, des références discographiques, stages, enregistrements et cours de Miltown, la contrainte des répétitions chaque soir, la préparation des concerts chaque semaine, l'obsession des sessions hebdomadaires, le bricolage le week-end des anches... Et chaque jour après jour, les cuisses mémorisant le poids de l'instrument, les doigts le volume du chanter, le corps la douleur du jeu. Un drogué, j'étais devenu un drogué.
Et puis, un jour, plus rien. Tout mis à la poubelle de mon histoire et essayant d'en faire mon deuil. Etre seul et désemparé. Devenir fou ? CA NON.
Si depuis ma tendre enfance je n'ai qu'un réflexe : occuper mes sens et mon esprit par mes passions - jamais la même peut-être, mais toujours une au moins - la solution était de trouver une remplaçante. Une remplaçante exigeante, habile bougresse, pour m'éloigner à jamais de l'ancienne amante.
Je ne voulais plus de souffrance à l'épaule,
plus d'heures interminables à régler l'ingrate, plus la réaccorder
selon les saisons, en cours de jeu, plus bâtir et suivre ses anches,
ne plus produire un son et un jeu médiocre malgré ces heures
de répétitions, ne plus pester contre mon chanter (1)
si mal percé, ne plus trimballer cet instrument lourd et encombrant.
Ne plus assister à ce démembrement, ces mutilations. Anche
trop dure ? J'en mets une douce qui deviendra inaudible. Bourdons (2)
trop consommateurs de souffle ? J'en sacrifie un, puis deux, puis trois.
Régulateurs (3) trop fatigants, peu équilibrés
? Hop, dans leur caisse...
Jouais-je encore du uilleann-pipe ou un rêve de
pipe ? Pour autant aimer l'objet de telles frustrations comment me qualifier
: maso ou amoureux fou furieux ? Trop de questions ne pouvaient demeurer
sans réponse, sans thérapie.
Le cahier des charges de l'instrument anti-pipe se prononça : l'antithèse du pipe est le concertina.
Petit instrument léger s'opposant à l'instrument
lourd et volumineux ;
Stable, toujours accordé, face au pipe instable,
à accorder ;
Sans entretien à mener, contre les soins journaliers
;
Un son égal, toujours formé, toujours disponible,
loin du son à créer, à maîtriser ;
Un son faible sans rapport avec la force du concert pitch
;
Instrument confidentiel, sous représenté
dans les groupes, contre la vedette du jour, accommodé à
toutes les sauces.
La seule ressemblance portait sur le soufflet. Mais combien le geste les écartaient l'un de l'autre. Un mouvement, du bras gauche pour le concertina, du coude droit pour le pipe. Quant au reste...
Je me frottais les yeux : comment pourrais-je aimer cette paysanne après ma liaison avec une princesse ? A priori tout m'en écartait et à commencer par l'essentiel d'un instrument de musique : sa sonorité, sans commune mesure avec les riches harmoniques du pipe. J'étais à cent mille lieues des inconditionnels du concertina évoquant le charme indescriptible de son timbre pouvant se déceler dans un ensemble d'instruments...
Le/la concertina ? Etrange chose : je n'en avais jamais rêvé. Il me suffisait de me tourner vers d'anciens écrits pour bien voir combien, jamais nommée, elle m'était étrangère. Plus, je la fréquentais depuis longtemps avec mon ami Jean-Louis, concertiniste de notre groupe Mavourneen, et ne l'avais jamais désirée.
Pourtant, il me fallait vivre en oubliant ma première passion et, puisque le concertina pouvait me faire espérer quelque renaissance, pourquoi ne pas tenter ma chance ? Quels étaient mes risques ?
Juste avant les vacances d'été 1999, Jean-Marc, un ami du groupe Beltaine, me proposa d'essayer un vieux concertina tout « pourri ». J'empruntai pour l'occasion enregistrements et méthodes à Jean-Louis et me lançai dans l'aventure sans autre état d'âme.
Je me souviens de ce petit instrument roux, son soufflet de carton rapiécé de cuir, ses boutons blancs s'enfonçant de guingois qu'il me fallait décoincer en cours de jeu. Comment aimer cette ruine ?
Malgré ces handicaps, le laideron se montra coopératif puisque les premiers essais furent couronnés de succès. D'abord, quel plaisir d'obtenir un son formé, toujours présent à l'appel du bouton enfoncé. Ensuite quelle satisfaction de produire, assez vite, un petit air irlandais, pas bien flamboyant certes, mais au moins complet et reconnaissable.
Effleurant ces touches ? je retrouvais de vieux airs exhumés dans mon passé d'accordéoniste. Le comble, j'eus l'impression d'aller « plus loin » que jadis en produisant des « tons » sur lequels je bloquais dans mes tendres années.Le concertina, thérapeute d'une vieille frustration (ma première passion abandonnée) et d'une souffrance récente (le uilleann-pipe) ? Le concertina, découverte ou renaissance ?
Je me refusais à cette argutie. Tout cela était trop beau, trop simple. Encore un conte de fées que je me racontais pour « faire joli » et sublimer mon présent ! Sans doute la jouissance était-elle ailleurs.
Peut-être le plaisir de bonnes vacances plus le plaisir de découvrir du neuf, de me plonger dans une nouvelle technique, de nouvelles difficultés. Etait-ce vraiment l'instrument qui en était la cause ?
Au retour de mes vacances, je rendis la ruine et poursuivis
ma thérapie en achetant, riche de mon expérience passée,
un autre Stagi (4).
Une autre italienne, me direz-vous. Certes, car le choix
se limite en France à une marque. Mais, riche de ma première
expérience, je choisissais le haut de gamme en commandant à
Rennes (5), après de longues recherches comparatives
sur le Net, un concertina au système amélioré.
Acquis pour 3000 F en Janvier 2000, il m'accompagnera en concerts et sessions publiques 6 mois plus tard ! Imaginez ma fierté de jouer après un si bref apprentissage.
Et, plus tard, chaque session renouvelant l'expérience, quel plaisir de ne plus transpirer, d'abandonner sans nostalgie ma sempiternelle serviette éponge grande buveuse de sudation. Et quel plaisir de mener à terme une suite de reels sans douleur physique. Pour répondre à ma question, je dirai quand même : une vraie renaissance !...
Pourtant, les choses avaient bien mal commencé. Le jour même de l'achat, j'essaie, dans notre voiture stationnée à Rennes, la petite merveille noire. Malheureux : une des touches principales ne répond pas ! Je sors de la voiture, abandonne ma femme qui doit bien s'interroger, et me précipite en courant vers le magasin de vente. Je réessaie un autre instrument, puis un troisième. A chaque essai, je découvre un bouton silencieux ! Je finis par saisir en tremblant le dernier du stock qui, lui aussi, possède sa touche silencieuse, mais... d'une note jamais utilisée en musique irlandaise ! Tant mieux ou tant pis, je le prends comme il est, j'ai eu très peur.
A la maison, je constaterai d'autres défauts. Ainsi, le bouton de Fa# que je ne puis atteindre que du petit doigt de la main gauche et qui est bien trop dur à enfoncer. Je démonte l'instrument et remplace le ressort du levier par un ressort plus doux. Hélas, ainsi « réparé », le bouton ne remplit plus sa fonction. Il refuse de se poser hermétiquement sur son trou d'air. Je reviens à la case départ en reposant le ressort d'origine. Il me faudra renforcer mon auriculaire gauche, quel sport que la musique !
Autre intervention chirurgicale essayée. Le soufflet réagit difficilement au tempo de la musique irlandaise. L'air pénètre mal dans le trou étroit du bouton respiratoire. Je redémonte l'instrument et agrandis le trou au cutter jusqu'à la limite extrême de la circonférence de sa soupape. Mon diagnostic devait être erroné, je ne constate pas d'amélioration sensible, mais, heureusement aussi, pas de dégradation.
Ma pauvre épouse assiste interloquée à mes gesticulations. Peut-être est-elle habituée à un mari fébrile et torturé ? Si les filles de la maison regrettent la disparition du pipe et adoptent une attitude de mépris envers la renégate, l'épouse m'encourage toujours lorsque je la sollicite :
« Est-ce que tu ne trouves pas que je joue mieux
du concertina que du pipe, Sylvie ? »
« Oui, mon chéri, je pense que le uilleann-pipe
était vraiment un instrument très difficile. »
« ?... »
Bon, il ne s'agit peut-être pas d'un grand compliment,
mais il a le ton de la sincérité.Et je progresse avec la
nouvelle élue, répétant presque chaque soir, dans
la salle de jeu, devant mon bureau noir.
Ultime démarche à ma renonciation du pipe,
après avoir vendu mon F. (6), j'abandonne ma
commande de flat-set chez Rogge.
A quoi bon m'illusionner : à chaque fois que je
reprends mon instrument, je ne « tiens » que 10 minutes d'affilée
et réveille ma douleur pour une semaine !
Même si un excès de jeu au concertina finit
à la longue par endolorir mon épaule droite, je tiens plus
longtemps ma route.
L'argent économisé par mon abandon est vite affecté : je commande en remplacement une « Rolls » du concertina, un Colin Dipper.
Encore toute une aventure que cette commande. Si mes recherches me conduisent à un maître luthier, les espoirs d'obtenir l'instrument de mes rêves sont quelque peu refroidis par les délais annoncés : 2 à 3 ans. Délais normaux, habituels, pour une commande chez un luthier de renom, je le sais bien mais peste quand même.
Tant pis, je tente ma chance. J'ai la vie devant moi,
non ! J'entre (difficilement) en contact avec mon anglais qui me
fixe un rendez-vous en France au festival de St Chartier de juillet 2000.
Tout est prêt. Mes économies de concerts en groupes sont suffisantes
pour la commande (2000 F). Je voyagerai avec Jean-Louis, un habitué
de St Chartier. J'achète une nouvelle tente neuve. J'achète
les billets du Festival.
Patatras ! Un accident de la circulation routière
m'expédie au CHU et met un terme à mes projets !
Je délègue Jean-Louis, qui connaît
d'ailleurs le bonhomme pour lui avoir acheté son concertina, avec
ma commande, mes recommandations et mon argent.
L'affaire se conclut avec une promesse de livraison au
terme d'une année.
Je tombe, agréablement, des nues. Même s'il
paraît que Dipper adore la France et entend satisfaire son client
français, je reste méfiant, car la réputation «
d'artiste » du luthier n'est plus à faire. Prix approximatif,
communication incertaine, je verrai bien...
Après une relance en mars 2001, je reçois
une réponse encourageante de Colin.
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Mon premier concert avec mon ancien groupe Beltaine |
En attendant la nouvelle épousée, je poursuis ma vie commune avec mon Stagi en session au « John Mac Byrne » (7).
Les sessions au concertina sont quand même différentes de mes anciennes soirées avec le uilleann-pipe, mais, comme toujours, il y a du bon et du moins bon.
Au chapitre du négatif, je considère le
fait d'être moins sonore, donc moins présent dans la session.
Si, dans un sens, cela est confortable lorsque je découvre et m'essaie
à un nouvel air, en phase de « croisière », je
m'entends moins, on m'entend moins.
L'instrument est plus modeste, moins médiatique
aussi que le pipe, il suscite moins de questions et de rencontres. C'est
à ce niveau que je souffre le plus. Ne participant plus - de mon
fait, soulignons-le - à la vie d'un groupe, je me vois un peu «
en dehors » du cercle de connivence des sessionneurs qui vivent ailleurs
d'autres aventures musicales.
Je découvre combien je suis un grand sentimental,
ou plutôt un grand amoureux de l'autre, assoiffé de relations
humaines, qui souffre d'être moins interpellé. Etre proche
de l'autre en communiant dans une passion commune, n'est-ce pas la raison
forte qui m'a fait élire la musique irlandaise de session comme
MA musique ?
Si je regrette le temps du uilleann-pipe et mes fiévreuses sessions au « Perroquet Bleu » (8), le concertina m'offre d'autres défis à relever, donc une nouvelle motivation. Je me vois tel un jeunot avec mon instrument à maîtriser et à faire entendre. J'apprends ainsi des suites de reels et je remarque, avec fierté, qu'à côté des deux meneurs habituels je suis l'un des rares à lancer des suites.
Après ce constat, la question est devenue aujourd'hui, ironiquement, non plus « comment ne plus penser au pipe », mais « pourquoi mon intérêt réel - n'employons pas encore le grand mot de passion - pour cette petite chose hexagonale »?
Si trouver les vrais raisons peuvent me faire progresser sur la voie de ma guérison, je n'hésite pas, allons y, cogitons, parlons, vidons notre sac.
Le souvenir le plus lointain de mes amours avec la musique irlandaise me conduit à un 33 tours acheté à la Coop Breizh de Paris, rue du Maine.
Je l'ai toujours, ce disque avec sa pochette fatiguée en carton, illustrée d'une photographie noire et blanc ["Irish Traditional Concertina Styles" de Topic Records 12TFRS506]. C'est la photo de la pochette qui provoqua l'achat. Deux paysans, vêtus de la veste de tweed rapiécée et de la casquette des années 30, jouaient d'un drôle d'instrument, assis sur des barils de lessive dans la cuisine d'une chaumière. Une vieille dame dansait, un jeune voisin regardait ses pieds, deux verres de stout noire reposaient sur la table, une casserole chauffait sur un fourneau.
J'étais alors dans ma période « rétro-écolo », à la recherche de mes racines bretonnes, d'une authenticité paysanne rêvée. Ce disque illustrait mes préoccupations du moment. Je l'achetai.
Je découvris, en exploitant le vinyle, que l'instrument en question était une sorte d'accordéon : le concertina, apprécié des Irlandais de la côte ouest. Mon premier contact officiel avec la musique irlandaise, quoi qu'il advienne, devint, pour le meilleur comme le pire, le concertina.
Cette découverte ne se concrétisa pas au-delà de l'achat du disque. Influencé par un ami accordéoniste, la « boîte du diable » (9) devint ma passion alternative du biniou, et le concertina tomba dans les oubliettes de mon vécu. Jusqu'à ce que... - curieux méandres de l'histoire - je me retrouve aujourd'hui face à cette vieille connaissance.
L'accroche avec le concertina serait donc liée à cette image de l'Irlande, l'essence de l'Irlande, inconsciemment ancrée en moi. Ouah, la belle psychologie !
Plutôt qu'un rêve, pourquoi ne pas y voir simplement les retrouvailles avec mon vrai premier amour, celui de l'accordéon diatonique ? Après tout, il y a de nombreuses similitudes entre les deux instruments, le geste du poussé-tiré avec la succession de ses notes.
Toute une histoire que cette passion. Une préfiguration de ma relation avec le uilleann-pipe en quelque sorte.
Que n'ai-je acheté de disques et vénéré ces grands accordéonistes que furent Joe Cooley et son élève Tony Mac Mahon. Mais, que de frustrations à ne pouvoir suivre la moindre jig de mes disques en dépit de mon obstination. Je me souviens de cet accordéon trimballé lors de mon voyage en Irlande avec Sylvie, sorti du coffre de notre camping-car dans la lande la plus isolée, faute de ne pouvoir en jouer dans un pub.
Mais quand même, mes premières sessions avec cet instrument, puisque des photos, prises dans un pub du boulevard St Germain à Paris, au côté de mon ami violoniste/flûtiste Brieg, l'attestent sans contestation possible.
Aussi au bout du chemin, sans obtenir un style et un son
irlandais, le découragement puis l'abandon peu glorieux, masqué
par d'autres choix... Litanie du violon, de la harpe et finalement du uilleann-pipe.
Ironie de l'histoire, voici qu'un autre accordéon
vient masquer mon abandon du pipe.
Verdict de notre psychologue interne (mais pas des hôpitaux
!) :
« Ce concertina, mon cher Didier, vient remplacer
l'accordéon, ce grand frère défunt, et compenser une
douleur enfouie, jamais guérie, dans ton coeur de père...
»
Résumons-nous, le concertina serait donc :
- un instrument de rechange choisi pour me faire oublier
le uilleann-pipe ;
- un instrument réflexe ancré à
mon imaginaire de l'Irlande ;
- un instrument compensateur d'une expérience
accordéonistique mal vécue.
Pauvre instrument, tu te définis en opposition à quelque chose d'autre, mais quid de toi-même ? Notre avenir commun peut-il se fonder durablement sur de telles bases ?
Je m'interroge longuement et cherche les raisons de notre mariage.
J'interroge Jean-Louis pour sa passion avec son concertina. Mon ami ne connaît pas ma souffrance existentielle, ne s'interroge pas sur son instrument. Je recherche sur le Net d'autres justifications et d'abord dans des sites consacrés au concertina. Silence radio. Par dépit, je recherche les études d'autres musiciens sur d'autres instruments, en quête de réflexions parallèles à partager. Mais ne trouve rien de bien définitif qui puisse calmer la soif de mon coeur et mon âme. Suis-je une curiosité du monde de la musique ? Mon Dieu que je suis compliqué...
Petit accordéon noir, muet sur mes deux genoux, que vais-je faire de toi ?
Je ne t'aime pas encore. Tu n'as pas la belle voix de
mon uilleann-pipe. Ni sa beauté exotique.
J'écoute et réécoute les maîtres
concertinistes à la recherche de la petite flamme passion. Rien.
Mon coeur ne vibre pas, nul frisson le long de ma peau.
Nul envie de stage, nulle envie de perfection, pas de
gourou à suivre, nul rêve.
Nous voici mariés par la raison, il va me falloir apprendre à t'aimer.
Il me faut t'aimer puisque je ne sais pas encore si je
t'aime. Mais apprendre à aimer, c'est quoi ?
C'est se construire de fortes et belles images. Côtoyer,
fréquenter, connaître, découvrir et apprendre l'autre.
Passer du temps avec et patienter. Voir tes beaux, tes
bons côtés, ton originalité.
Je lis, relis et me documente sur toi.
Tu fus créé en 1830 par un physicien anglais,
inventeur du télégraphe : Mr. Wheatstone. Vieille dame quelles
furent tes aventures ? Tes lettres de noblesse ?
Petit, léger, maniable, tu es apprécié
en Irlande, dit-on, et joué surtout par des femmes. Je vous regarde,
concertinistes irlandaises à la recherche d'un coup de coeur. Mais
excusez-moi, Mesdames MacNamara et MacCarthy, nulle déesse, nulle
beauté.
Concertina, tu es associé à ce farmer du
Clare botté de caoutchouc, pas à une rouquine, princesse
aux cheveux vaporeux. Et encore une impasse. Point de ménestrels,
de pianistes romantiques, mais des clowns, des vieux marins, des soldats
de l'Armée du Salut... Décidément, tu n'es guère
valorisée par tes compagnons.
Tes boutons sont capricieusement rangés. Je ne te comprends pas.
La flûte, le piano, le violon, obéissent
à une logique dans la progression des notes. Le chemin des doigts
se fait de droite à gauche ou du haut vers le bas.
Mes doigts sur toi cheminent en errance, en triangulation,
en crabe, en signe de Zorro. Je monte ma gamme de mon annulaire, mon majeur,
mon auriculaire douloureux, mon index. Quelle gymnastique !
Quel sens à cette géométrie capricieuse
? Est-ce le reflet d'une âme retorse ou d'une logique amicale ? Ta
psychologie incompréhensible me fait sortir cette vieille ritournelle
souvent entendue par les filles de ma maisonnée. « Je ne comprends
décidément rien aux filles ! »
Puisque je ne te comprends pas, concertinette, tu es
donc une fille ?...
Je t'appelle « ma petite femme » pour bien
me coller contre ton âme, mais ressembles-tu donc à une dame
avec ta boîte hexagonale, anguleuse ? Que n'ai-je entre les mains
le galbe d'un violon, d'une viole de gambe ou d'une contrebasse au lieu
de cette amante de la Guerre des Etoiles ? (10)
Montre-moi une carnation rousse et moirée comme
tes voisines à cordes. Ta couleur noire de cercueil luisant prédispose-t-elle
à l'amour ? Le contact de tes petits boutons en métal vaut-il
la sensation du bois chaud, donc vivant ?
Es-tu belle ? Sais-tu me plaire ? Si je t'ai féminisée,
je dois bien te reconnaître un peu du charme de tes soeurs de chair
et de sang. Après tout, la chose est importante pour une dame que
je côtoie chaque jour. Si tes servantes, ma déesse, ne sont
guère envoûtantes, que dire de ta propre apparence.
Mon uilleann-pipe (étrange chose, lui aussi, anachronisme
mi-pieuvre mi-arbre sacré) de velours cramoisi et de chrome rutilant
en "jetait un peu". Il avait ses admirateurs.
Mais toi ? Comment te vois-je ?
Je l'ai déjà dit : parfois comme une fille
capricieuse avec ses rangées de boutons arrangés sans logique
apparente. Mais pas comme un être statique et mort. Je te pousse,
tu couines. Je te ferme, tu soupires.
Tel Hamlet scrutant son crâne, je te considère
longuement.
Petite boîte-trésor au couvercle ciselé.
Coffret à bijoux, tes perles brillantes sur le coffre exposées.
Fille vénale bardée de cuir, de lanières, pourquoi
pas ?
Mes doigts ont laissé leur trace acide sur tes
flancs sans cesse flattés. Chaque pli de ton soufflet m'évoque
le bandeau d'une chevelure et leur mouvement l'ondoiement d'une tête.
Lorsque je te dépose sur le velours de ta boîte, je te couche
sur un lit.
Je t'humanise pour mieux t'interpeller.
Femme qui respire de tes poumons en soufflet, nous dansons
ensemble. Mes mains de part et d'autre de tes anches, tes poumons contre
mon ventre, écoute la musique sensuelle de notre valse sur le flot
de l'Irlande. Aime-moi, aimons-nous, aide-moi dans ma passion de l'Irlande,
fais-moi oublier par tes étreintes ma passion brisée du uilleann-pipe.
Le peux-tu ?
Pour te faire réagir, je joue le chantage. Il te reste peu de temps, mon italienne. J'attends avec espoir ta petite soeur, modelée spécialement par Colin Dipper, pour satisfaire ma passion. Une concertinette anglaise, spécialement entraînée à l'Irlande, quelle concurrence pour toi !
Elle sera plus petite et, la légère, respirera plus vite pour suivre sans s'essouffler le galop des reels (11) endiablés. Elle abandonnera ta cape de velours noir étouffante du son pour une chemise argentée et sonore. Sa voix ainsi renforcée se fera mieux entendre dans le concert des sessions. Ses anches libres rendront la saveur du chant du concertina irlandais loin de tes anches bâtardes d'accordéon. L'irlandaise arrangera ses boutons pour une meilleure adaptation à sa musique natale et adoucira son mécanisme interne pour m'offrir une touche plus tendre. Je serai fier d'elle et la présenterai sans tes fards...
Ma pauvre noiraude, témoin de mes premiers émois,
que ferai-je alors de toi ?
Te vendrai-je sans vergogne comme je le fis de mon uilleann-pipe
? Ou plus avant de mes accordéons, de ma flûte...
La vente du grand frère fut le résultat
de frustrations et de souffrances, mais à toi, que pourrai-je te
reprocher ? Des
imperfections qui m'ont fait te préférer
une machine, mais quand même une renaissance, un ensemble de découvertes
et d'encouragements. Serai-je suffisamment ingrat pour t'oublier ? Prendrai-je
le prix de ta vente pour acheter un autre instrument, une locomotive pour
mon train électrique, un bijou pour l'amour de ma vie ? La réponse
viendra peut-être de ton avocate :
« Ne vends pas ton concertina, Didier, garde-le pour une de nos filles... »
Vivons au jour le jour, nous verrons bien demain. Mais en attendant, parle-moi, parle-moi encore, convaincs-moi donc.
Je te prends chaque soir. Une feuille de papier couverte de titres, le programme de ma soirée de répétitions, est devant moi. Cette semaine, je travaille des suites de reels pour la session de dimanche. La semaine prochaine, j'alternerai sans doute avec une suite de jigs.
Mon objectif est de pouvoir proposer et mener quelque
chose qui puisse claironner, à tous mes compères du dimanche
soir :
« Voyez Didier, il n'est pas encore mort, il joue
comme un égal à vos côtés. »
Et ce sera toi, ma concertine, qui m'aidera dans cette
tâche. N'aimerais-tu pas devenir une vedette d'un soir. Te faire
entendre, apprécier, applaudir ? Tu as la chance d'avoir ce point
d'avance. Parmi nous, tu es la seule de ton espèce. Des violons,
beaucoup de flûtes, des guitares certes, mais point d'autre concertina.
Sachons profiter de cet avantage, mais combien précaire.
Imagine qu'un étranger arrive un soir et fasse entendre sa voix
victorieuse. Je nous vois déconfits, perdant un peu de nos moyens.
Notre part de statut de musicien privilégié s'envolera. Pourrions-nous
nous relever tous les deux, lourds de cette souffrance supplémentaire
?
Je touche du bois, je te touche donc. Jusqu'alors, tes
soeurs et toi-même avez su mettre à profit ce vieil adage
: « pour vivre heureuses, vivons cachées ».
A la différence du uilleann-pipe, par exemple,
peu d'enregistrements vous sont dédiés et peu de groupes
vous adoptent. Les concertinas du commerce sont ingrats. Et vous, les «
hand made », l'élite de la famille, êtes aussi chères
et aussi lentes à produire qu'un pipe. Alors, peu vous désirent...
quelle chance pour nous deux !
Craignons quand même un aficionado venu s'installer à Nantes, ville phare à la mode du jour, avec une « Rolls » entre ses mains et un pub à charmer.
Qui sait, il me/nous faudra alors être très fort moralement. Je m'étais préparé à voir sessionner un jour des pipers, et peut-être déjà Greg (12) avec mon ancien enfant. La vue et le son de cet instrument m'aurait meurtri. Greg n'aime pas les sessions et l'hypothèse d'une rencontre s'estompe. Mais, même préparé à l'événement possible, je n'étais pas très assuré de mon comportement final.
Si ma conversion au concertina m'a beaucoup aidé dans mon désamour du pipe, qu'en sera-t-il de la confrontation régulière d'un bon concertiniste en session, pour un instrument sur lequel je fonde tant d'espoirs ? J'en frémis d'avance. Epée de Damoclès, puisse mon Dieu ne jamais choir sur ma tête de vieux musicien fragile. Donne-moi une paisible retraite. Laisse-moi, s'il Te plaît, encore quelques années de rêve, de tranquillité. Laisse-moi me croire bon musicien. Laisse-moi mes illusions. Ne me confronte pas à un jeune coq prodige, prodigue de son corps et de sa forme rayonnante, insoucieux du temps, fort et admiré. Qu'aurai-je à lui opposer ?
J'ai déjà donné de nombreuses fois dans ce registre de frustrations. Pour quelques musiciens de moindre capacité, combien en ai-je rencontrés de meilleurs que moi. Combien de coups au coeur d'abord, au moral ensuite, ai-je subis.
Ces considérations nous renvoient une fois de plus à l'objet de mes écrits. Concertina, est-ce que je t'aime vraiment ? Comment qualifier cet amour ? Quelle forme revêt-il?
Si je quitte les sessions pour ne plus y trouver la quiétude, comment imaginer notre vie à deux ? Toi et moi, seul à seul, en un dialogue stérile. Vivrons-nous paisiblement cette aventure à deux, tels ces vieux parents après le départ de leurs enfants ?
J'aime la musique irlandaise, et son expression complète : notes de musique et jeu en session avec d'autres passionnés. Ma vie de musicien le démontre suffisamment. Mais, est-ce que je t'aime, toi. Est-ce que nous continuerons notre dialogue loin du pub ? J'ai bien abandonné accordéon, violon, harpe, flûte et uilleann-pipe, sur des « coups de tête », des « coups de coeur » ou des « coups de corps », voire des... « coups du sort » ! Frémissons donc tous les deux.
Je te prends chaque jour pour nous préparer, tels des athlètes avant la compétition, au match des sessions dominicales. J'apprécie tant la session que je n'envisage pas de dissocier maintenant la musique irlandaise de cette expression. J'ai pu abandonner mes groupes parce que j'allais vers cette finalité si essentielle pour moi. Si on m'ôte cette communion, ma carrière de musicien irlandophile devrait s'arrêter. Peut-être. Sans doute. Je ne sais pas.
C'est du moins ce que je ressens aujourd'hui, concertinette. Tu vois, je ne te cache rien. Mais l'avenir est incertain. Imaginais-je, il n'y a pas si longtemps, mon abandon total du pipe ? Alors, à quoi bon philosopher sur l'avenir ? Contentons-nous du présent, et revenons à notre répétition du soir.
Je veux tout décrire, je veux tout dévoiler.
Ainsi, peut-être, résoudrai-je mon interrogation « Comment
puis-je t'aimer ? »
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En session au John Mac Byrne à Nantes avec mon Stagi. |
La feuille de répétition est devant moi. Tu es entre mes mains. Ton flanc droit repose sur ma cuisse. Je répète un air à jouer.
Il me faudrait m'échauffer l'épaule, comme un sportif faire des exercices préparatoires. Je les oublie la plupart du temps et me jette dans la musique comme on se lance à l'eau.
Je joue la première phrase sans réfléchir. C'est aussi bon : il faut jouer par réflexe, faire travailler les automatismes. Si le résultat foire, on se souvient : « Oui, c'est là que je déconne, je dois penser à produire cette note avec cette touche alternative. » Je rejoue la même phrase, et ça passe ou pas. Je la rejoue jusqu'à ce qu'elle passe. Cela peut durer longtemps ou pas, selon mon humeur, ma lassitude.
Immergé dans la musique et sa difficulté, est-ce que je pense à toi ? Ne serait-ce que pour te critiquer, pester contre l'arrangement de tes boutons qui ne me conviennent décidément pas pour jouer mon « tune » (13) ? Soupirer contre tous tes défauts connus ou imaginaires (voir plus haut) ?
Non. Même pas. Rarement. De moins en moins souvent.
Ainsi donc, je te prends avec tes défauts. Je
t'admets telle que tu es.
Restons ici quelques instants sur ce que je viens d'écrire.
Prendre quelqu'un avec ses qualités et ses défauts,
n'est-ce pas tout simplement l'aimer ? Peut-être suis-je sur la bonne
voie pour répondre à ma question « Concertina, qu'es-tu
pour moi, un instrument que j'aime ou quoi d'autre ? »
Si je refuse cette affirmation de l'amour pour mon concertina, c'est que je n'y retrouve pas le feu de la passion, de mes amours, avec d'autres instruments. C'est trop calme, trop raisonné. Mon amour proviendrait d'une cohabitation journalière de l'instrument, une habitude de vieux couple. Est-ce vraiment de l'amour que cela ?
Je n'écoute pas inlassablement de disques de concertinistes
comme je le faisais pour ma période accordéon.
Mes rêves ne sont pas constamment prisonniers d'un
seul objet comme à l'époque de la harpe ou du violon.
Et que dire de mon ère uilleann-pipe ?
Est-ce cela l'amour ? C'est trop calme et mesuré. Raisonnable.
Peut-être est-ce l'âge et son cortège de sagesse qui me calment. Mon aventure musicale est largement derrière moi. Aujourd'hui tout m'est compté. Je fais du « rab ». Mais j'ai peu de regrets. A faire le bilan, j'ai fait pas mal de choses au regard de mes qualités intrinsèques. Peut-on faire le reproche au destin d'être né sans être le « Best of » ? Pour un élu, combien de méprisés. Ma foi, je me suis placé dans la bonne moyenne, ce qui n'est pas sans satisfaction au regard de tous les recalés de la vie.
Je voulais jouer en de nombreuses occasions de la vraie et bonne musique en étant accepté par de bons musiciens : j'y suis parvenu. J'ai joué avec les plus grands au uilleann-pipe, sans parler de ma période de sonneur bretonnant avec Per Guillou (14). Concours gagné, lutherie pratiquée, connaissance intime de presque tous les instruments de musique de l'Ouest... Ce n'est pas rien et c'est même beaucoup. Ma vie n'a pas été médiocre.
Bien sûr, il me manquera quelques fleurons : une
vraie session en Irlande et, pourquoi pas, un CD de gravé. Mais
est-ce douloureux, mon âme ?
Je me console en affirmant que la qualité des
sessions de Nantes équivaut à celles de Dublin, en considérant
la banalisation du CD gravé, en pensant à la fugacité
de la reconnaissance du public ou de mes « pairs ». Mes regrets
ne sont pas des morsures cruelles.
Me voici arrivé à un point bien modeste de mon analyse : j'aimerai le concertina par habitude de fréquentation. Tel un vieux couple. J'aime avec un petit « a ». Sans la passion de mes jeunes années. De la tendresse plus que de l'Amour ?
Après tout, que vaut le Grand Amour s'il se brise
un jour ? Souffrance essentiellement.
Mon petit amour pour toi, concertinette, est peut-être
le gage d'une grande aventure, si je prends le contre-exemple de mes aventures
passées, toutes bâties sur le sable de la Grande Passion Amoureuse.
C'est toi la Gagnante, la Dernière, l'Elue, ma
concertinette. Ecoute bien :
Que reste-t-il de l'accordéon, si ce n'est toi,
avec ton jeu diatonique, tes boutons et ta tonalité ?
Que reste-t-il de mes rêves de harpiste, vagabond
le dos chargé, vers l'aventure onirique, si ce n'est toi à
mes côtés ?
Que reste-t-il du uilleann-pipe, si ce n'est ton soufflet,
ta présence originale en session ?
Que dire de ta victoire sur les régulateurs rétifs,
toujours à réaccorder, épuisants et frustrateurs ?
C'est bien toi qui me permets de jouer de poignantes mélodies soulignées
par tes notes d'accords ?
Souviens-toi de cette mélodie, "Boulavogue", jouée
en solo chez John et applaudie par le plus intégriste des «
speedy gonzales » sprinters de reels.
Est-ce que je ne retrouve pas dans ta légèreté,
ton volume si logeable, le corps de la flûte ? Et, soulevant le couvercle
de ta boîte, le rituel d'ouverture, le parfum, de ma caisse à
violon ?
Les répétitions solitaires dans la maison
de vacances ont le même goût que mes répétitions
au fiddle et l'amour dans le regard de Sylvie le même éclat
lorsque je t'utilise à ses côtés.
|
Une nouvelle époque, avec mon concertina Dipper n° 402... |
Félicitations à la gagnante.
Nourri de désillusions, le vieux pépère que je suis prend acte pour son avenir. Peut-être que notre mariage de raison, bâti sur la sagesse, nous verra vieillir ensemble, ma vieille !
Peu à peu, une image de toi se dessine dans mon âme. Et c'est encore un symptôme de l'amour qui frappe à la porte.
Te voici, petite chose, ma brunaude, baptisée vieille dame. Vieille complice d'ici quelque années ?
Tu n'étais pas loin de cette image à ta conception. Jusqu'à il n'y a pas si longtemps, la plupart des concertinas joués annonçaient un âge canonique faute de jeune relève. La vieille compagne de Jean-Louis n'est-elle pas née dans les années 20 ?
Ah combien, moi qui aime les antiquités, t'aurai-je désirée, riche de cet âge, lourde de ce passé !
C'est le comble, un reproche supplémentaire qui t'es adressé sur le registre de ta jeunesse ! Que d'outrages n'auras-tu subis de mon fait. Qu'aurai-je aimé tenir entre mes mains une vieille dame riche d'un passé évanoui. J'y aurai trouvé une âme, objet inanimé.
Ton âme sera donc à forger, mais le temps
passe vite. Et, un jour viendra où ma fille héritière
de l'instrument rêvera à son papa en caressant ton cuir fatigué.
Tristes considérations, revenons à la gaieté
qui sied à un objet ludique et, surtout, parlons d'avenir.
Le concertina de Dipper sera bien jeune, mais formé dans les règles de l'art par un spécialiste des restaurations. Il aura été conçu spécialement pour moi. Il sera unique et exceptionnel, alors hein !
Mon Dieu, que j'ai hâte de te tenir dans mes bras ! Combien aussi cette ardeur se mêle d'effroi.
Imaginons que l'instrument ne réponde pas à mes attentes ! Je suis un peu méfiant, après mon expérience de F. au pipe et L. à la flûte. Je fonde peut-être trop d'espoirs. Trop de questions naissent. Et si l'Anglais avait mal interprété ma demande. Si la concertine, obéissant à une fantaisie créatrice de son luthier artiste, me parvenait avec un « look d'enfer ». Alors que je te veux, que je t'attends comme dans mes rêves. Comme sur la photo de ma pochette de disque en noir et blanc. Noire avec tes flancs de métal ajourés de volutes à fleurs. Avec tes boutons argentés, espacés à l'exacte proportion de mes mains. Que d'angoisses encore à vivre en t'attendant !
J'ai pris un risque, je t'ai commandée sans te
rencontrer. Jean-Louis m'a dit, pour t'avoir croisée en stage, que
ton look est très classique. Tant mieux mais aucune image de toi
sur mon bureau pour me faire rêver, alors que tes consoeurs encombrent
la toile du Net. Quel mystère ! Tu es pourtant considérée
comme une grande dame du concertina « hand-made » et on t'évoque
assez souvent.
Je dois faire preuve d'imagination et croiser les doigts
pour ne pas avoir acheté une monstresse hybride !
Reprenons le travail - l'exorcisme de mon drame existentiel -, revenons à notre répétition du soir avant de nous produire en session publique.
Brave compagne de labeur, j'égrène les exercices
et, si je peste, ce n'est pas contre toi, mais davantage contre mes défaillances
de vieillard. Mémoire alzheimerienne, réflexe cacochyme,
pouah de la vieillerie !
Et ma douleur à l'épaule qui me revisite
à l'occasion.
Rendu prudent par mon expérience passée, je m'écoute et me ménage. Prends un temps de repos, consacré à mon train miniature tout proche, entre deux suites de reels. Et, à la première alerte, je m'arrête pour la soirée.
Si je me tourne vers le passé, les choses sont quand même bien plus simples qu'avec mon pipe. N'est-ce pas ? Je te prends et je joue. Que dire de ton prédécesseur, bourreau de mon âme et de mon corps. Et je devais te ménager, pipe infidèle, te chouchouter une anche, mignarder ton hygrométrie et, que sais-je ? Ouais, si je ne sais pas trop si j'aime mon concertina, c'est sûr que je te déteste ô combien, mon ex-pipe !
Tout est plus simple avec toi, concertinette. Je te prends et tu chantes. Si tu dérailles, c'est ton conducteur que je blâme, pas toi. J'oublie tes défauts mineurs, m'y adapte régulièrement. Ainsi, ton Fa# se fait aujourd'hui léger sous mon auriculaire gauche qui se renforce aux exercices quotidiens. J'aime (encore le mot amour qui revient) ta docilité. Rien n'est irrécupérable avec toi, tout est solutionnable et, à la différence du pipe, quasi « pour de bon ». Une de tes anches « ronfle », je t'ouvre les entrailles, découvre et nettoie la saleté graisseuse de la coupable et tout rentre dans l'ordre. Je reviens d'un week-end à Carnac, désastreux par l'humidité qui finit par voiler le son de quelques-unes de tes anches. Une semaine de séchage dans la cave sèche de la maison nantaise et tu perds ta voix enrouée. Ça, c'est un instrument sain et vigoureux !
Parfois, nous changeons de registre pour retrouver le
chemin des « slow-airs » rythmés par l'expression de
tes accords. Abordés avec l'accordéon diatonique, espérés
avec le uilleann-pipe, je les libère aujourd'hui sous tes boutons.
Suaves jouissances, bénédictions divines. Loin du jeu «
speedé », créateur de mes souffrances d'épaule
- foutus reels de sessions pour jeune coq pétant le feu de Dieu
- sois présente, noble âme, souffle du coeur, repos de mes
muscles, apaisement...
Tu vois encore une autre de tes victoires sur tes prédécesseurs,
concertina.
La douceur mélancolique des « slow-airs » nous projette dans la nuit des années futures.
Ton vieux maître, usé, fatigué, à bout de souffle, repu de sessions, te donne le repos. Nous n'irons plus au bois, nous n'irons plus sessionner, ma belle complice. Va, repose-toi, le temps est venu. Nous revenons aux primes amours des mélodies, doux repos de mon corps et de nos âmes. Ah ! la "Old grey goose", la "Complainte de Limerick", "the Dear Irish Boy", tous ces airs de Sean O'Riada ou de Tony Mac Mahon.
Le cercle ouvert par mon adolescence est aujourd'hui fermé. Doucement, écoutant la nuit qui vient, reste à mes côtés et vieillissons ensemble.
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Notes :
(1) Partie principale du uilleann-pipe : le chalumeau
où se posent les doigts qui forment les notes de la mélodie.
(2) Autre partie du uilleann-pipe : trois "tubes"
de tailles différentes (basse, baryton et ténor) qui produisent
la note à l'unisson de la tonalité
du uilleann (Ré pour un "concert-pitch").
(3) Partie annexe du uilleann-pipe produisant les
notes d'accord (3 régulateurs sur un "full-set")
(4) Stagi (ex-Bastari) est la grande marque italienne
du concertina "bas de gamme".
(5) "La maison de l'accordéon" au 143 Rue
de Nantes. Je recommande fortement cette adresse. Excellent accueil, grande
compétence.
(6) Les noms de luthiers définis par une simple
lettre visent des fabricants qui, pour une raison ou une autre, m'ont déçu.
Je recommande à l'opposé les luthiers repris nommément
(Rogge en Allemagne, Dipper en Angleterre).
(7) Excellent pub de Nantes à l'angle des
rues de La Juiverie et des Petites Ecuries.
(8) Excellent pub de Nantes aujourd'hui disparu.
(9) Accordéon diatonique.
(10) Voir les deux ailes hexagonales du vaisseau
"Tien Fighter" de "Star War".
(11) Jig, reel, horn-pipe, sont des noms de danses
irlandaises.
(12) Greg, Australo-irlandais vivant à Nantes
m'a acheté mon uillean-pipe en Ré. Greg ne possède
plus aujourd'hui cet instrument qui lui a été volé.
Encore un roman à écrire sur cet instrument maudit !
(13) Le tune (air) est à la base de la musique
instrumentale irlandaise.
(14) Grand sonneur et luthier de Basse-Bretagne,
aujourd'hui décédé. Un festival est organisé
chaque année à Maël-Carhaix pour honorer sa mémoire.
J'ai intimement connu Per (je fus l'un de ses deux héritiers).
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Dernière mise à jour : Nov.
2005
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"Qu'est-ce qui te plaît dans le concertina ? Qu'est-ce qui t'a fait essayer puis retenir ton instrument ?..."
Quelques réponses de mes amis concertinistes :
Jean- Louis :
"Je reste convaincu que le concertina est le plus bel instrument qui soit, puisque c'est le seul qui me permette de m'exprimer pleinement. J'ai toujours autant de plaisir à en écouter que ce soit de l'english, de l'anglo ou du duet, le plus important c'est la sonorité qu'il dégage."
Hugues :
"J'ai été conquis par l'originalité de l'instrument et la beauté de sa voix."
Christelle :
"Il m'a tout de suite séduit par son côté sympa, petit, mignon."
Jean-Claude :
"Tout d'abord un grand amoureux de l'uilleann pipe, j'ai finalement abandonné cet instrument après l'acquisition d'un pipe d'une qualité telle que personne n'a jamais réussi à le faire fonctionner ! Et c'est en écoutant les premiers disques des Chieftains et notamment de Michael Tubridy, leur flûtiste et concertiniste d'alors, que je suis tombé sous le charme du concertina. Le son de cet instrument et la beauté des mélodies jouées par ce grand monsieur, m'ont complètement subjugué. J'ai alors abandonné le uilleann-pipe et me suis tourné définitivement vers cette petite "chose" toujours prête à être emportée avec nous et qui, à l'inverse du pipe ... est toujours accordée !"
Sylvie :
"J'aime la beauté du geste du concertiniste. J'aime le son du concertina, à la fois pur et sophistiqué. Il est idéal pour le jeu des nuances. Je le trouve typiquement irlandais, pour moi il représente un peu l'Irlande. Petit, pratique, mignon, je ne lui trouve que des qualités."
Jean-Pierre :
"Si je le compare à l'accordéon il est bien plus joli, moins lourd. J'aime sa beauté et la pureté de sa voix. Cet instrument est magique." http://www.webreizh.net/jplemeur/
Richard :
"Pour moi il s'agit d'un instrument dont j'apprécie la richesse pour m'ouvrir à de nombreuses musiques."
Gilbert :
"Pianiste et organiste à l'origine, et n'ayant
pas toujours la chance de trouver un instrument quand je me déplace,
j'ai longtemps cherché un clavier portatif, petit et léger,
et puis un jour j'ai revu dans ma mémoire les clowns de mon enfance
qui jouaient de ce petit soufflet noir, qui produisait des sons rauques
et déchirants (c'est exactement ce que je ressentais à l'époque),
qui m'émeuvait autant que la beauté de l'objet...."
http://le.concertina.monsite.wanadoo.fr
Noël Hill
"Noël Hill notes a large majority of girls and women in his classes in Ireland. When asked why they prefer the concertina, they typically respond that it is small, easily portable, and has a reedy tone that sounds like the pipes" (Notes on the Beginnings of Concertina Playing in Ireland, 1834 - 1930. By Dan Worrall)
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Et vous-même, qu'en pensez-vous ? Ecrivez-moi
pour nous le dire...
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Dernière mise à jour : Dec 2007
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