Le journal d'un stagiaire

à Tocane Saint Apre (du 19 au 24 juillet 2002)

n.b. Pour un long reportage en images à Tocane du 18 au 21 juillet 2010 (20ème édition des rencontres musicales irlandaises) cliquer sur la photo de Gilbert ci-dessous

Gilbert en session à mes côtés à Tocane en juillet 2010





Vendredi 19 juillet

L'autocar de Périgueux me dépose à l'entrée du village de Tocane vers 18h00. Je me charge des 15 kg de mon sac et
chemine vers le terrain du camping municipal.
Surprise, il y a déjà de nombreuses tentes. Moi qui espérais, en venant un jour plus tôt, choisir un bon emplacement...
Il ne reste qu'une demie place à l'ombre, en bordure de ce terrain de foot mis à la disposition des élèves musiciens pour
la durée du stage.

L'urgence est de prendre une douche pour me remettre de mon périple sous la canicule. Je monte très vite ma tente
igloo et tend une corde à linge aux branches du premier buisson. Peu à peu je retrouve mes marques pour mon
troisième stage tocanien.

Après la douche, après le coup de téléphone à la maison, je retourne au camp et cherche des visages familiers. Je
reconnais un accordéoniste de Bordeaux avec sa femme violoniste, mais beaucoup me sont inconnus. Je sympathise
avec mon voisin un jeune flûtiste qui vient pour la deuxième année consécutive. Il avoue avoir préféré s'installer la
veille, comme moi, afin de profiter des zones ombragées.

Le repas du soir arrive vite. Je trouve un banc à l'ombre, m'y installe, dévore le contenu d'une boîte de conserve. Je
suis  fourbu et je rejoins vite ma tente. Je m'y endors bercé des "reels" d'une première session improvisée par mes
voisins.

Samedi 20 juillet

Nous sommes la veille du jour J et aujourd'hui devrait arriver la majorité des élèves. J'espère retrouver des visages
connus. Pour les Nantais, je pense simplement à Karine au banjo, peut-être Alain à la flûte. Aussi Jean-Marc violoniste
d'Angers et Philippe flûtiste sur Tours. Mais hélas pas mes chers amis banjoistes Jef et Jean-Pierre. Pour le concertina
c'est l'inconnu. Aucun de mes familiers ne doit venir. Alors, des jeunes ? des étrangers ?...

Je profite de cette journée de transition pour m'enregistrer à l'accueil du camping. Je projette de faire mon courrier et
mes achats alimentaires. Si le temps n'est pas trop chaud j'apprécierai une petite balade dans le village entrecoupée de
virées ponctuelles au camping pour y repérer des visages familiers. Je ne me leurre pas, la vraie surprise sera pour
demain. Tous les élèves ne logent pas sur place mais, souvent avec leur famille, en chambre d'hôte où dans un gîte
distant.

Une surprise m'attend ce soir : une avalanche d'amis ! Ceux annoncés comme ceux qui m'ont dit ne pas venir mais qui
sont là, ayant "craqué" à la dernière minute. Voici Jef mon ami banjoiste de Lille, Karine et Bertrand mes amis nantais
membres actifs de mon ancien groupe Beltaine, Denis piper ex-nantais, Christophe flûtiste de nos sessions. Jean-Marc
violoniste d'Angers avec son frère Peter élève de la classe d'accordéon. C'est la grande retrouvaille des frères en
musique et je me sens de moins en moins seul.

Naturellement, le repas du soir expédié, c'est la première session aux terrasses des deux cafés du village. Trente à
quarante musiciens ensemble à faire la fête c'est quelque chose ! Nous sessionnons avec des Belges, des Hollandais,
des Anglais et des Irlandais. Tocane s'internationalise.

Peu de concertinistes. J'ai croisé quand même Sylvie et Richard, j'ai sympathisé avec Johan un Belge de Bruxelles.
Mais je suis le seul à sortir mon instrument, qui, me dira-t-on le lendemain, s'entendra de fort loin. Tant mieux, j'adore
le son des flûtes et fiddles mais apprécie davantage la diversité des timbres.

C'est la fête tard dans la nuit. Je m'endors satisfait de ma journée jusqu'à mon réveil à trois heures du matin pour
rentrer précipitamment ma serviette de bain sous une pluie d'orage.

Dimanche 21 juillet

La première journée de stage commence. Nous grimpons qui à pied, qui en voiture, jusqu'au collège de Tocane où
sont dispensés les cours. Nous satisfaisons aux dernières formalités administratives. Quelques retardataires repartent
déçus de n'avoir pu s'inscrire en classe de violon. La présence de la vedette internationale Liz Caroll a multiplié les
vocations d'élèves.

Nous prenons le café offert dans le réfectoire et saluons d'anciens fidèles de Tocane : violoniste, flûtiste, banjoiste,
accordéoniste, danseur ou chanteur. Les élèves rejoignent peu à peu leur salle de cours à l'exception des banjoistes et
concertinistes.  Nos professeurs, respectivement Angelina Carberry et Aogàn Lynch, ont raté leur vol à Dublin et ne
nous rejoindront que vers midi.

En attendant, mes compères et moi nous rassemblons dans une salle pour tester nos forces. A mes côtés Johan de
Bruxelles, Richard de Lyon, Sylvie des Monts d'Arrée. Une jeune irlandaise nous rejoint. Toute blonde, toute jeunette
(16 ans peut-être), toute timide et... jouant comme un maître. Que fait-elle à nos côtés ?
On vient la chercher pour animer la classe d'accompagnement. Elle y a davantage sa place. Nous apprendrons plus
tard qu'elle est la fille d'Antoin Mac Gabhann, le deuxième prof. de fiddle.

Aogàn nous rejoint vers midi. Jeune gars décontracté en short et tennis, portant lunettes de soleil sur le nez (rare pour
un irlandais) et une bouteille d'eau à la main (rare pour un irlandais - bis !)

Après nous avoir testé et complimenté il nous propose une première "jig", une des nombreuses versions de "Lark in
the Morning".

Nous la travaillons en groupe, puis chacun de notre côté, hors de la classe, assis sur un banc dans la cour du collège.
Aogàn nous retrouve chacun à notre tour et nous corrige puis ajoute à la difficulté : une ornementation, un accord. A
côté du maître technicien je découvre un vrai pédagogue. Ma satisfaction est totale.

La fin du cours nous libère vers 16h30. Le reste de la journée se déroulera avec les jalons habituels : une répétition
solitaire sur un banc au fond du terrain de camping, le ceili avec d'autres musiciens dans la salle des fêtes du village où
je retrouve Karine qui a défaut de cours de banjo (classe saturée) s'est inscrite dans sa spécialité la danse, enfin la
session du soir avec des amis.

Cette fois la rencontre musicale se déroule dans une auberge d'un autre village. Il est de tradition que les professeurs
et leurs familles puissent profiter pleinement des charmes gastronomiques du Périgord dans quelques lieux appropriés.
Les élèves peuvent partager les agapes où simplement y venir à la fin (estimée) du repas pour y retrouver leurs
professeurs touchés (on l'espère) par la grâce musicale.
Jef m'y conduit en voiture. Avec d'autres amis nous stationnons en suite d'une longue file de voitures. Il y a du monde
ce soir !

Des sessions d'élèves sont en cours. Deux groupes se partagent les lieux : à la périphérie, près de la rivière une
vingtaine égrainent les danses dans un style standard ; au centre sous la tonnelle, une autre session plus "speedée"
menée par Bertrand le nantais au banjo, Sylvain le rennais à la flûte et Philip le belge à la guitare. Comme des fidèles à
la communion cent auditeurs, musiciens, amateurs initiés ou consommateurs de passage, forment cercle autour des
prêtres. Au lieu de rejoindre une des deux sessions nous décidons de monter la notre à quelques pas. Ce petit groupe
d'amis avec Antoine le parisien à la guitare et Jef le lillois au banjo choisissent d'évoquer une Irlande plus intimiste :
des valses oubliées s'élèvent sous la lune pleine. Des musiciens passent, restent ou s'éloignent, grossissent notre cercle.

Nous apprendrons en cours de jeu que nos irlandais, plus exactement un duo féminin avec la petite Angelina au banjo
et la grande Liz Carroll au violon, se sont décidées. Lorsque repus de nos festivités nous rompons le cercle d'acteurs
pour quêter la magie d'une session aux côtés de nos maîtres, nous manquons de chance. La mayonnaise n'a pas prise et
nos professeurs, peut-être repus de leur journée, se dispersent sans se joindre à leurs élèves. A notre tour nous
rentrons à Tocane.

Lundi 22 juillet

Il a fait froid toute la nuit. Avis aux futurs stagiaires : j'ai regretté mon duvet en plumes d'oie.
Le camp se réveille doucement, la soirée d'hier s'est achevée bien tard. Et chaque matin du stage je noterai peu à peu,
sur le visage des élèves, la marque de la bonne fatigue des sessions accumulées.

Que les cours sont denses ! Un "tune" appris le matin et un autre décortiqué l'après-midi. Aogàn augmente les
difficultés. Je griffonne à toute vitesse ses consignes en m'y perdant un peu. Entre traduire la langue de Shakespeare,
décoder la notation ABC, noter si je dois produire cette note de ma main gauche ou droite, en tirant ou en poussant,
j'angoisse d'oublier l'essentiel... L'idéal est de tout noter pour m'y retrouver et retravailler, bien posément, chez moi.
Mais que d'éléments qui se bousculent à engranger. Y parviendrai-je ?

Aujourd'hui deuxième jour de stage je note le rythme, immuable d'une journée à l'autre, qui s'instaure. Cours le matin,
repas le midi avec les amis et les profs, cours l'après midi, répétition ensuite, douche, repas, animation du ceili avec les
danseurs puis session dans un café, sur le camping, la terrasse de l'Eglise (n'importe où !) Aujourd'hui pour moi c'est
au Marolle le grand café sur la place.

La session est un peu spéciale. Avec mes amis concertinistes nous nous regroupons autour de Jean-Claude en
vacances avec sa famille pour bâtir un projet de rencontre en ... Mars 2003 ! C'est Rolly Brown, anglais retraité près
de Limoges, qui nous invitera chez lui. Robby torse nu, visage rose, riant sous sa chevelure blanche, savoure sa bière à
notre table. Nos instruments circulent. Notre anglais s'y essaye, ainsi que son ami Pat Mitchell, le professeur irlandais
de uilleann-pipes. Hugues lance une suite de jigs acquises lors de nos rencontres à Paris. Nous le suivons avec
Richard. Et un son nouveau s'élève au dessus de Tocane : la petite voix des concertinas qui ravive, le temps trop bref
de quelques suites, l'intérêt des oreilles d'auditeurs gavés de violon et de flûte.

Mardi 23 juillet

Beaucoup d'échanges, de bavardages en toute simplicité avec nos professeurs.
Je mange, dans le réfectoire du collège, à côté de Liz Carroll qui entre le fromage et le dessert griffonne une partition.
Je voisine Angelina  Carberry la petite enseignante de banjo et Eymer Mayoc la prof. de flûte. Quelques stagiaires
s'humanisent, se font plus proches, peut-être par mimétisme, collent à l'ambiance bonhomme qui nous voient tous
égaux. Si le maître montre l'exemple de la convivialité, l'élève se doit de le suivre.

Après la difficulté d'hier, je joue de chance pendant le cours avec quelques airs plus simples. Aogàn Lynch, si expert,
se découvre de chair et de sang, lorsqu'il hésite et fait quelques fautes en reproduisant l'air que nous lui demandons.
"C'est une jig difficile" avoue-t-il. Petite satisfaction, il s'informe sur mon Dipper, l'emprunte, le trouve excellent.

A la pause je réalise un de mes (petits) objectifs : photographier Marie Mac Namara... au violon ! Le clin d'oeil sera
formidable en la mettant sur mon site avec cet instrument en main.

Mercredi 24 juillet

Surprise : il pleut aujourd'hui. Je fourre mon concertina dans un sac poubelle et je pars pour le collège vite rattrapé par
un élève motorisé qui me propose l'abri de son véhicule.

C'est avec un peu de nostalgie que je renouvelle, pour la dernière fois, mes gestes rituels. Le café offert et les premiers
échanges dans le réfectoire. Le déplacement vers la salle de classe, le tableau noir écrit de notes "ABC", où répètent,
avant la leçon du jour, quelques élèves parmi les plus studieux.

Le dernier cours a lieu avec les enregistrements, les commentaires, les échanges de plaisanteries. Aogàn nous dédicace
le CD de son groupe Slide. Je lis la pochette et y découvre quelques uns des "tunes" qu'il nous a appris. Le jeune
maître répond à nos dernières interrogations. Nous répétons le programme de la soirée.

La pose de midi nous interrompt avec son kir en apéritif et son repas spécial d'adieu : salade de magret de canard,
confis d'oie, fraises au désert. Nos cours s'achèvent vers 16h30. La pluie s'est arrêtée et les élèves se dispersent, qui
vers une première session sur la terrasse du Marolle, qui vers le camping pour travailler, jouer et toujours échanger.

Je fais mes dernières courses alimentaires et paye ma location du camping. Je prends ma dernière douche, traîne,
discute avec l'ami de rencontre. Je ne répète pas, gavé de musique, je préfère écouter les autres.

Sur la place devant le camping les professeurs irlandais, alignés sur le kiosque à musique, règlent la balance du concert
d'adieu. Je les prends en photo. Tout à l'heure je dînerai avec un copain ou deux, téléphonerai à la maison et prendrai,
tranquillement, le chemin du concert, magnéto et appareil photo en main.

L'heure H approche. Je note le stress chez certains. Les concertinistes passent dans les premiers. Aogàn réclame ses
élèves et n'en trouve que deux. Je pars à la recherche des retardataires.

Notre tour arrive et nous montons sur scène : Mlle Mac Gabhann, Richard, Sophie, Johan, moi et Aogàn. Tout se
passe bien. Je sais ne pas avoir bien joué, non pas gagné par le stress, mais lâché par ma mémoire de quadra. Dans
l'ensemble du groupe cela ne s'est naturellement pas remarqué.

Chaque cours présente son programme. Des petites compositions (chanteurs, pipers, concertinistes) aux volumineuses
(accompagnement, banjo, accordéon, surtout violons). Je m'approche de mes amis et je les flashe pour immortaliser
l'instant.

Nos professeurs passent ensuite, en solo ou par paires. J'enregistre la prestation d'Aogàn avec son ami l'accordéoniste
Paidi O'Connor,. qui nous rejouent les Noël Hill et Tony Mac Mahon. Peu après nous retrouvons notre jeune prodige,
la  concertiniste irlandaise de notre classe, dansant en duo un "step" avec la prof de danse : encore une qui a tous les
talents !

Les danseurs interviennent de nouveau en fin de concert pour le "Bucks of Oranmore" d'adieu. La longue soirée de fin
de stage peu commencer. Les spectateurs poursuivent la magie musicale avec l'achat d'un CD souvenir. Il est une
heure du matin et j'offre une Guinness à Jef puis achète un casse-croûte de "ventrêche" pour calmer ma faim. Je peux
commencer ma tournée d'adieu. Je ne traîne pas car demain je me lève tôt pour rejoindre mon autocar de 8h00. Je ne
verrai certainement pas beaucoup de ceux qui vont veiller cette nuit. Après avoir pris congé de tous mes amis je rentre
dans ma tente pour m'y endormir bercé d'une dernière jig. Lorsque je me lève à 6h00 il y a encore six violonistes qui
jouent.

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Dernière mise à jour : Juil 2005